Laissez-vous transporter dans les montagnes brumeuses de Shizuoka, où chaque gorgée raconte une histoire...

Le jour s'efface, et les pins de la clairière, noirs comme l'encre, se dressent contre un ciel mauve où luit une première étoile. Kenji, assis sur un tatami usé dans sa cabane de cèdre, ranime le foyer en terre. Une poignée de brindilles de cerisier craque, des flammes orange dansant sur les murs d'argile mêlée de paille. La lumière vacille, chaude, et éclaire un bol en terre où une mèche de chanvre trempe dans de la graisse de sanglier, projetant des ombres douces sur le panneau de papier de mûrier.

Kenji prend une théière en fonte, sa surface noircie par des années de feu, patinée comme une pierre polie par le ruisseau. Il y dépose une poignée de feuilles de thé noir, kōcha, qu'il a oxydées voilà cinq jours. Les feuilles, sèches et froissées, d'un brun tirant sur le noir, luisent sous la lueur du foyer, dégageant une odeur boisée, profonde, avec cette pointe d'amertume qui rappelle la terre après la pluie.

Il choisit une fraise séchée, offerte par le bokkō ce midi — une perle rouge vif, ridée mais éclatante, comme une goutte de sang figée. Il l'émiette entre ses doigts, et des fragments tombent dans la théière, leur parfum sucré, légèrement acidulé, montant dans l'air tel un souvenir d'été capturé dans cette chair sèche. Deux groseilles suivent, petites sphères d'un rouge rubis, translucides à la lumière, leur peau fine craquant sous la pression. Leur odeur piquante, vive, presque citronnée, se mêle à la fraise, éveillant l'espace confiné de la cabane.

Enfin, il ouvre le pot en terre du marchand, scellé d'un bouchon de liège. À l'intérieur, une essence concentrée : framboise, fraise, cerise, distillée à Kyoto. Il incline le pot, et une goutte, d'un rouge profond comme le jus d'une cerise mûre, tombe dans la théière. Une bouffée chaude s'échappe — un mélange de framboise juteuse, de fraise douce et de cerise ronde, avec une note presque amandée qui enveloppe les sens.

Il verse l'eau, puisée à la source fraîche du ruisseau à dix pas de la cabane et chauffée dans une bouilloire de fonte sur le feu. Cette eau pure, filtrée par les roches de granit de la montagne, juste frémissante, clapote en touchant les feuilles et les fruits. La théière s'emplit d'un nuage de vapeur, et les couleurs jaillissent. Les feuilles de thé se déplient, libérant un brun riche, profond, comme l'écorce d'un vieux cèdre. Les fraises et groseilles gonflent légèrement, leur rouge vibrant saignant dans l'eau, formant des volutes carmin qui dansent dans le liquide. L'essence de cerise ajoute une teinte pourpre, subtile, qui tourbillonne comme un ruban de soie.

L'infusion, encore claire au départ, s'assombrit peu à peu, prenant une robe d'ambre rougeâtre, chaude, presque vivante sous la lumière du foyer. L'odeur emplit la cabane : le thé noir, terreux et robuste, s'entrelace avec la douceur sucrée de la fraise, l'acidité vive de la groseille, et la chaleur veloutée de la cerise — une harmonie qui semble chanter la montagne elle-même.

Kenji attend, patient, ses mains posées sur ses genoux, sa veste en chanvre brun captant la chaleur du feu. Le vent siffle dehors, glissant entre les pins, et un hibou hulule au loin, note grave dans la nuit naissante. Après quelques minutes, il soulève la théière, son poids familier dans ses paumes calleuses. Il verse le thé dans une tasse en bois de kaki, sculptée l'an dernier avec son couteau à manche de prunier.

Le liquide coule, scintillant, un flot d'ambre teinté de rouge, comme un coucher de soleil emprisonné. Des particules de fraise et de groseille flottent — minuscules éclats rubis dans la tasse, captant la lueur du foyer. Il porte la tasse à ses lèvres, inhale d'abord. L'odeur est un monde : le thé, boisé, évoque les feuilles mortes sous les théiers ; la fraise, sucrée, rappelle les baies cueillies dans les clairières ; la groseille, aiguë, pique le nez comme une brise d'automne ; et la cerise, profonde, laisse une trace chaude, presque charnelle.

La première gorgée est chaude, glissant sur sa langue comme une caresse. Le thé noir frappe d'abord, son amertume robuste, solide, ancrée comme la terre de Shizuoka. Puis la fraise s'éveille — une douceur ronde qui adoucit les angles, comme un fruit mûr éclatant sous les dents. La groseille surgit, vive, acidulée, une pointe qui réveille le palais et fait saliver. Enfin, la cerise s'installe, veloutée, avec une note chaude, presque sucrée, qui persiste, tapissant la gorge d'un souvenir d'été.

Chaque gorgée est un tableau : les rouges des fruits, l'ambre du thé, les odeurs mêlées de forêt et de verger, les goûts qui dansent, se répondent, s'équilibrent. Kenji boit lentement, les yeux mi-clos, le feu craquant, le vent murmurant, la tasse chaude contre ses paumes. Ce thé, c'est la montagne, les saisons, les mains du marchand — tout ce qui le lie au monde sans l'y retenir.