Arthur Rimbaud et le café : l’histoire méconnue d’un poète négociant

Arthur Rimbaud et le café d’Harar : l’aventure méconnue d’un poète devenu négociant

Au-delà de ses vers visionnaires, Arthur Rimbaud a vécu une véritable odyssée dans le monde du café. Peu de gens le savent, mais dans les années 1880, l’ancien poète s’est réinventé en commerçant de café en Afrique de l’Est, au cœur des hauts plateaux éthiopiens. C’est une histoire où l’arôme envoûtant du moka se mêle à l’esprit d’aventure : celle d’un jeune homme qui délaisse la littérature pour suivre les caravanes de café d’Harar, l’un des crus les plus prisés de son époque.

Du vers à la ventue : Rimbaud, pionnier du café en Abyssinie

En 1873, à tout juste 19 ans, Rimbaud tourne le dos à la poésie. L’auteur du Bateau ivre et d’Une saison en enfer renonce à la plume pour partir en quête d’action et de fortune. Après quelques errances, il débarque en août 1880 à Aden, le grand port du Yémen, porte d’entrée du commerce oriental. L’Europe est alors en pleine « fièvre du café » : cette boisson exotique est à la mode, et les meilleurs grains viennent d’Arabie et d’Abyssinie. Les frères Bardey, des négociants lyonnais établis à Aden, recrutent le jeune Rimbaud pour profiter de cette manne. Ils l’envoient ouvrir un comptoir à Harar, ville perchée du sud-est de l’Abyssinie, afin d’acheter le café directement à la source, sans passer par les intermédiaires arabes.

C’est ainsi qu’en novembre 1880, Arthur Rimbaud s’enfonce à dos de mule dans l’arrière-pays éthiopien, sur les traces des explorateurs. Harar est une cité légendaire, longtemps interdite aux étrangers. Avant Rimbaud, seuls deux Européens y avaient jamais pénétré, dont l’explorateur Richard Burton en 1855. Autant dire que l’arrivée de ce « Roumi » français de 26 ans fait sensation dans la ville aux murailles blanches. Rimbaud découvre un bastion du café : comme l’avait écrit Burton, « le café de Harar est trop réputé sur les marchés d’Europe pour qu’on le décrive ». À 1 800 mètres d’altitude, le climat y est frais et propice aux caféiers sauvages. Le jeune négociant s’émerveille devant ces grains vert-bleuté qui sèchent au soleil, futurs trésors de saveurs.

Parfums d’Orient : au cœur du royaume du moka

Harar est alors l’un des berceaux du café arabica, dont l’origine se dispute entre l’Éthiopie et le Yémen. Rimbaud se retrouve au plus près d’une tradition pluriséculaire. Chaque matin, les effluves de jasmin des fleurs de caféier laissent place à l’odeur puissante des fèves qu’on fait griller. Le café d’Harar, réputé depuis des siècles, offre un profil unique. Des spécialistes de l’époque le décrivent comme « le plus fin des cafés d’Éthiopie », au goût “vineux et piquant, d’une exquise âpreté aromatique”.

Dès son installation, Rimbaud s’immerge dans le commerce local. Il apprend les langues (l’arabe, l’amharique, l’oromo) et négocie avec les caravaniers. Le comptoir Bardey qu’il dirige à Harar exporte du café, mais aussi des peaux et de l’ivoire pour rentabiliser chaque caravanage. On le voit parcourir les ruelles étroites de la ville fortifiée, superviser le tri des fèves, mesurer l’humidité des sacs de jute. Une fois les sacs de café remplis à ras bord, ils partent en convoi à travers le désert somali jusqu’au port de Zeilah sur le Golfe d’Aden. De là, des boutres les emmènent vers Aden, où les cargaisons sont expédiées en Europe.

Entre espoirs et désillusions : l’âme en exil

Malgré l’exotisme de sa vie africaine, Rimbaud ressent vite une forme de désenchantement. L’euphorie des débuts fait place à la routine du comptoir. « Heureusement que la vie n’est qu’une, parce que je n’en imaginerais pas une plus ennuyeuse que celle-ci », confie-t-il avec amertume dans une lettre. Isolé à plus de 6 000 km de la France, il songe à sa famille restée à Charleville et au vide laissé par la poésie. Il confie à sa famille que la société à Aden « ne couvre même pas ses frais » et risque de fermer. Les bénéfices espérés ne sont pas au rendez-vous, ce qui le frustre profondément après tant d’efforts.

Le parfum du café, de Harar à nos jours

L’aventure africaine de Rimbaud s’achève en 1891. Miné par une tumeur au genou, épuisé, il doit rentrer en France où il meurt à 37 ans, sans avoir amassé la richesse espérée. Cependant, son héritage caféier perdure d’une manière insoupçonnée. Lorsqu’il était à Harar, Rimbaud a contribué à mieux faire connaître en Europe ce café d’exception.

Plus d’un siècle plus tard, le café reste une aventure humaine et sensorielle. Les grains qu’acheminait Rimbaud à dos de chameau parcourent désormais le monde en quelques jours, par cargos et conteneurs hermétiques. Mais l’esprit artisanal qu’il a connu à Harar – la cueillette manuelle, le tri soigneux, la torréfaction faite avec passion – continue de vivre à travers des maisons comme Brûlea, torréfacteur artisanal français. Chez Brûlea, nous perpétuons cette tradition d’excellence : nous sélectionnons des cafés de terroir et les torréfions avec le même soin que pouvaient y mettre les anciens, révélant pour chaque origine ses saveurs uniques.

Des plantations d’Éthiopie aux ateliers de torréfaction en France, un fil rouge nous relie à l’odyssée d’Arthur Rimbaud. Ce fil, c’est la passion du café, cet or noir aromatique qui a fait voyager un poète jusqu’aux confins de l’Afrique et qui aujourd’hui encore fait vibrer nos sens à chaque tasse.